RÉSONANCE DE MONTAGNE

PAR ANTOINE CAMPO

Suzanne Obrecht vient d’exposer ses œuvres récentes à l’Espace Philomuses, rue des Grands Augustins, à Paris. Cet espace dédié aux arts est un très beau lieu dont l’exigence est la marque de fabrique. Comment s’en étonner, la pianiste Chantal Stigliani, haute interprète du répertoire de Bach, de Dukas… en est l’âme. Le mot n’est pas trop fort, il renvoie au principe vital, au souffle commun à l’homme, à l’animal, à la nature.

Les splendeurs massives, passives, peintes par l’artiste invitée, sont œuvres de l’esprit activé par la passion de voir et de donner à voir. Poursuivant une vie consacrée à l’art de peindre, Suzanne Obrecht peint donc aujourd’hui des montagnes. Plus exactement la Montagne, espace d’inspiration, zone d’altitude, aux confins d’incertitude. Un espace ouvert, mouvant, d’une composition harmonique.

Un appel à la plénitude

Il y a quelque chose de dramatique dans la vision d’une chaîne montagneuse, la cime en est l’enjeu, l’accident en est le possible - chute, avalanche, perdition -. La théologie protestante (luthérienne) voyait d’ailleurs dans la montagne le résultat d’un déluge universel, une apocalypse figée bref un imposant sujet de frayeur.

Or chez Obrecht, par la douceur du voir, par la parcimonie savante de la polychromie, par l’exactitude du mouvement, la montagne est appel à la plénitude. À la paix plus qu’à la joie. Je regarde les toiles majestueuses puis je regarde les belles et fragiles mains de l’artiste. Par quel miracle la montagne est-elle saisie dans une ligne d’envol ? Et je ne résiste pas à laisser jouer les mots, les merveilleux mots : la montagne accouche alors d’un sourire.

Gravir le temps, surprendre l’éclaircie

Seule la foi soulève les montagnes. La foi en l’art d’Obrecht n’est pas profession mais acte de dévotion à la vie intérieure. Consentement vibrant. Des fragments d’émotions surgissent en cataclysmes et secousses vitales provoquées par la juxtaposition des masses colorées.

Suzanne Obrecht, vos "bleus" font chavirer d'é-bleu-issement ! Une déflagration de sentiments conjurés qui se densifient et se compactent dans l’espace par la lumière de la toile même. La gamme chromatique frappe par l’infiniment peu. Un choix drastique qui engage chaque geste – méticuleux – et le travail de pigments essentiels.


Une montagne d’émotion

« Je parle en mon nom propre – non pas pour parler précisément de moi – mais pour puiser en moi la force de la parole » écrit l’artiste. J’oserai dire que Obrecht puise en elle la force de la… peinture. Car il y a un effet de puissance dans ces grandes toiles pulsée d’un geste si ample qui signe la technique aguerrie. Un séisme apprivoisé.

Escalader le ciel

Ce travail sériel se hisse alors à l’universel par sa pudeur exacte, la métaphore en est exclue : « dans cette exposition, toutes les peintures ont atteint leur point d’autonomie », me confie-t-elle.

Pour moi, artiste écrivant pour les artistes, il y a là et à ce point une élévation, une quête du « haut vivre » qui est toujours déflagration pour l’artiste authentique. Car l’artiste – je parle de Suzanne Obrecht – qui sait faire envol d’une montagne a affronté le mystère du temps. Transparent, insaisissable et profond comme un horizon.

Cette création pose alors un défi : elle invite tout spectateur à une ascension de soi qui serait voyage vers la douceur et la paix.

Une façon d’escalader non plus la montagne mais le ciel même.

©Antoine Campo
Directeur artistique
Éditions Lelivredart

 

« Alors je suis prise dans son mouvement ascensionnel, je respire plus haut (…). Heureuse sortie de moi. »
BELINDA CANNONE
IN « S’EMERVEILLER » STOCK 2017

 

 

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