Au dela de la toile


"La salle blanche est ouverte et claire comme une étoile en plein jour », écrit
Suzanne Obrecht, à propos de la salle située dans les hauteurs de la librairie HIéber, qui accueillera ses toiles jusqu'au 30 octobre 2003.
Dans cet espace, les toiles aux teintes bleues et rouges prennent leur élan du blanc
et du vide de la toile vierge, et de,cet élan, naît le libre envol du poète. Les murs blancs, ainsi que les nombreuses grandes fenêtres, laissent
respirer les toiles, et permettent, dans le silence du lieu, un passage intérieur-extérieur.
Les oeuvres, abstraites, sont empreintes d'une force vive; le thème de la montagne et la redondance de la couleur bleue mêlent la profondeur à l'angoisse, et la puissance au désespoir. Si Suzanne Obrecht aime la prise de risque et recherche l'équilibre, tout en se jouant des limites,, c'est dans la constante nécessité du «vrai » et de la «justesse de sa gestuelle».L'artiste, tel un funambule sur un tracé de couleur violent et rapide, tente la terrible et périlleusee exploration de soi.Mais, comme S. Obrecht le confiera au cours de l'interview: « il faut une force inouïe pour peindre ; il y a donc une mise en scène et des conditions indispensables pour rentrer en soi-même, en sortir, et laisser une "trace de ce ""rentrer en soi-même". La solitude, le travaill en atelier, et une « compagnie stimulante. » comme, par exemple: un fond musical, ou le bruit de la télévision (...) l'aident à s'oublier elle-même, pour devenir la peinture-même.Parfois avant de commencer à peindre, elle dort quelques heures pour faire le vide autour d'elle et ne pas contrarier le geste.
 

Cette « théâtralisation » du moment, telle une invitation au « sacre »; livre l'artiste à cette "part d'invisible en lui, que la toile dévoilera. Suzanne Obrecht ne se préoccupe plus "des limites, au moment de peindre ; au préalable, elle a fixé sa toile sur un plastique, et c'est dans son petit atelier qu'elle sera le témoin-créateur du «monumental ». Son travail, qui est celui du recouvrement, de la matière physique de la peinture, prend un caractère guerrier qui s'exprime par: "se battre et se débattre sur un espace donné et laisser advenir ce qu'il y a ». De la même manière, le mouvement est omniprésent. Souvent, en fermant les yeux, elle lance son geste, qui se prolonge au-delà de la toile, mais il s'agit pour elle davantage d'une "attitude philosophique que de l'acte de peindre" c'est en détachant « le coeur de cette explosion » qu'elle découvre sa toile, et cette découverte ressemble à un face à face avec soi-même. L'anxiété anime les deux pôles de l'action: il y a donc le trac du premier coup de pinceau, « le geste qui coûte », et le dernier qu'il faut savoir accepter. A ce moment, l'artiste doit sentir ce « quelque chose qui se passe et, qui n'est pas prévu » et que le tableau impose ». Chez S. Obrecht, si le geste est senti sur le vif, le "travail se fait lentement; le mouvement du "perpétuel aller-retour entre soi et la toile, la proximité du corps à corps avec le support même de l'oeuvre, et la distance de l'artiste qui juge et critique son travail, sont ses difficultés pour toujours être sur la cime, entre la maîtrise, et le "lâcher prise".
Cette « échappée belle donnée de surcroît » née des contrastes (des couleurs com-
plémentaires, des diverses qualités du geste, de la présence-absence), crée la lumière qui irradie la toile. Ainsi, étant passé de la figuration à l'art abstrait, d'une série d'autoportraits à des paysages, c'est toujours d'elle-même, de Suzanne Obrecht dont il s'agit. Ses montagnes sont des montagnes métaphysiques qui symbolisent sa conception de la peinture. Lorsqu'on s'interroge sur son rapport étroit à ses sujets d'inspiration, elle répond « la montagne, c'est moi ». Et c'est en effet ce que l'on ressent, notamment dans ses deux tableaux intitulés: « Le glacier brûle», un terme poétique pour désigner sa « lutte contre t'anéantissement qui guette », ici nourri de l'expérience de la canicule de l'été 2003.
Dans cette salle blanche, où les toiles se répondent, où la couleur bleu-océan côtoie le jaune japonais, où l'écriture du mouvement trompe le silence, l'on peut dire que: « le spectateur qui voit une peinture en est atteint ».

ONDINE


Exposition salle Blanche. Librairie Kléber du 1 au 30 octobre 2003. Suzanne Obrecht

 

 

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