À Boston, où elle a vécu et peint durant un an, Suzanne Obrecht a rencontré l'océan,
tableau mouvant et inlassable.

Les paysages barrés de montagnes de mon enfance m'ont toujours fait aimer la mer, l'horizon - cette limite qui n'existe pas; pour la même raison j'aime l'auto portrait (ou j'appelle toutes mes peintures auto portraits) : l'expérience que j'ai de moi-même n'a d'autre limite que celle de ma perception même. Ou encore : faire de la peinture un acte précis qui parle d'infini.
La plage, c'est la limite de l'infini qui vient mourir à mes pieds, avec ses hécatombes de crabes, ses bois légers, ses détritus inclassables. L'hiver dernier, je marchais sur la place de Reveere (Boston) en nommant ce que je voyais pour m'en souvenir avec précision.

Lettre à Maurice Jully, Boston, 19 Février 1996

... "Donc tu traverses la route, puis c'est la plage. D'abord tu marches dans la neige bleutée du soir. Puis, en bordure de l'eau -là où la mer s'est retirée : une bande nacrée rose un peu orangé.
Et tout de suite : l'eau, nacrée mais bleue.
Plus loin, des rouleaux de plus en plus rapprochés, bleu opaque, viennent rayer ce bleu clair.
Et la mer continue par une surface qui a l'air tricotée de bleu sombre - bleu de Prusse. Et puis le ciel clair. Tu vois, la nuance m'échappe déjà : couleur du temps, c'est une métaphore poétique : pas assez précis pour un peintre !
Au fond, les maisons sur les presqu'îles sont doré-rose. De temps en temps une vitre renvoie le soleil.
Des goélands se baignent dans les derniers rayons de lumière; là, ils sont magnifiques mais en temps ordinaire, il n'y a rien de plus con comme oiseau (je crois que je les ai décrits à Danièle); sinon, je te raconterai un autre jour : ils sont fascinants à force d'être incroyablement réels.
J'ai marché - le sable humide est élastique - en prenant un grand plaisir à écraser les carapaces de crabes ; c'est tout fin, crac, crac, sous les pas : comme marcher sur la neige gelée.
Tu imagines un peu tout ça ?
Je me suis promenée là-bas en bavardant avec toi : affaire de peintre tout ça, et de regard..."

Saison d'Alsace : "Alsace sur mer" 1997

 

 

 

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