Faisant suite à une longue série d'autoportraits, les Femmes de Suzanne Obrecht permettent d'approcher un thème qui, curieusement, a été moins exploré par les peintres que par d'autres, écrivains et cinéastes notamment, à savoir : la représentation de la femme par elle-même, et plus précisément, la vision de son corps. La manière dont elle traite les termes de cette question constitue ce qui fait l'originalité de son travail: une frontalité absolue et sans faux-fuyant, une inscription massive et pleine dans le cadre du tableau, à l'intérieur duquel le corps est sommé de trouver sa place.

Mais cette assurance, avec laquelle est abordée cette thèmatique ne dit pas toute l'importance accordée à la respiration de la figure, à son équilibre au milieu des vides qui la balisent; on s'aperÁoit alors qu'au traitement dramatique du corps répond la sérénité des découpes, des trouées vers l'espérance d'un espace édénique. Les rapports spatiaux qui s'établissent, de mouvance, de fluidité, de subtiles correspondances se démarquent du grand nombre de corps clos vus et peints jusqu'ici par les hommes (à l'exception toutefois des femmes chez de Kooning et chez Matisse).

Si les Femmes de Suzanne Obrecht évoquent la danse, de quelle joie, de quelle douleur nous entretiennent-elles? Peut-être ( de l'impossible maîtrise des énergies et tensions qui surgissent, traversent, déchirent les corps et qui, aussi, font peindre. Mais quels doutes, combien d'espérances, quelles impatiences pour atteindre cette incarnation qui présente, dans sa fixité, toute la violence de son mouvement ? Pour s'en faire une idée, il suffit de considérer les bords du tableau, aux endroits où la figure laisse apparaître les traces de son élaboration, en une sorte d'écorchée de la peinture, modulations colorées qui évoquent, dans le registre musical ce qu'on appelle les "harmoniques". Là se lit la mémoire d'une forme dans sa dispersion, du centre vers les marges : strates multiples pour parvenir à la forme, poussée par les états préalables qui sourdent.

Claude Rossignol