Au centre de sa peinture

Quand elle dit, "je suis nu centre de ma peinture" il faut l'entendre au sens propre et figuré. La voir, certains soirs revenir de son atelier, les mains maculés de bleus, de blanc et parfois, les jours de grandes couleurs, de rose chair. Harassée mais radieuse. Déterminée toujours. Remplie de sa peinture. Elle est aussi au centre de ses toiles, dans une autobiographie discrète, où le particulier rejoint l'universel. Elle dit "je suis femme et je suis peintre; comment faire abstraction de cela? Ce qui m'intéresse en tant (lue femme et en tant que peintre, c'est la perception que j'ai du monde". Alors, de toile en toile elle inscrit la figure féminine, comme un observateur de l'espace symboliques de la peinture.

Dans la dernière série de torses, qu'expose aujourd'hui le CIAL, Suzanne Obrecht traite d'une remise en ordre. Ses femmes sont la plupart du temps vues de dos - un dos, qui pour l'artiste devient la marque de la féminité, un signe symbole - organisent un paysage intérieur. Mises d'abord face à un maelstrom de larges touches vigoureuses, elles les mettent ensuite à distance pour ordonner l'univers du peintre et de sa peinture. La dernière toile de la série (accompagnée de dessins préparatoires) met en scène une femme accroupie sur le toit du monde. Son corps irradié par des jaunes solaires, s'achève par une tête indéfinie comme auréolée d'une forme foetale. Victorieuse d'avoir dominé le chaos, elle parle aussi de la solitude du peintre face à la toile.

De nombreux artistes contemporains ont choisi de se mettre en scène dans des biographies réelles ou imaginaires qui passent par les mots ou les objets (Boltanski, Messager, Ben). Rien de tel chez Suzanne Obrecht. Considérant avec méfiance les objets parce que trop chargés de "quotidien", elle privilégie le "geste" de l'artiste créateur de formes et de couleurs. Elle n'apparaît pas dans ses toiles en tant que sujet identifié. Si l'on peut discerner ici et là les signes de l'autoportrait, rien ne permet de reconnaitre l'artiste en héros. Tout en demeurant dans le champ de la figuration, l'artiste se situe dans celui symbolique de la métaphysique. Pour Suzanne Obrecht, le peintre est ce récepteur privilégié capable de renvoyer comme un miroir des sensations universelles.

Corinne Ibram - DNA 1991

 


Photo F. Zvardon

 

 


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