L'art de se nommer Suzanne Obrecht se revendique peintre et femme. Très fort. C'est-à-dire que sa peinture est indissociablement liée à son expression de femme. Une expression différente de celle des hommes affirme-t-elle, en ce sens qu'elles n'ont pas de filiation affirmée. S'il n'est pas question de nier les Michelange, Rembrandt ou Picasso, il est en revanche indispensable aujourd'hui que les femmes se nomment dans leur peinture, et défrichent un terrain qui pour elles est encore relativement vierge. Suzanne Obrecht n'y va pas par quatre chemins : Elle est sa peinture. Une série d'autoportraits avaient initié son travail. Autoportraits rageurs parfois comme à la recherche d'une identité enfouie. La femme avait ensuite pris corps, au sens littéral du terme, et avait envahi des grands formats. Emergeant toujours d'une profondeur touffue - ce furent un moment les Daphnés s'extrayant d'une végétation dense, ces personnages installaient le peintre dans une gestuelle jubilatoire et la femme dans l'espace remarqué de la peinture. . L'autoportrait est effectivement pour moi une manière de me nommer. De ne pas m'égarer dans l'anecdote dit Suzanne Obrecht. Il est aussi une forme de conquête du monde dont le peintre prend possession en y inscrivant son image, à la manière de rituels magiques. L'été dernier, Suzanne Obrecht retourne dans la vallée de Munster, où elle a vécu son enfance. Promenades dans les paysages estompés par la bruine. La pluie efface les détails et ne laisse apparaître que les courbes douces et molles des sommets érodés. Entre Suzanne Obrecht et ce paysage vécu jadis, il y a une reconnaissance immédiate, une sorte d'osmose de nature. "Je me sentais montagne." Cette nouvelle expérience, qui affirme une sensualité terrienne, fait l'objet des dernières oeuvres du peintre. Des oeuvres plus sereines, où le geste, toujours ample, semble vouloir s'enrouler sur lui-même. Le noir et blanc revient en force, comme si à l'explosion verte des Daphnés, devaient succéder une intériorité sans couleur reprenant les thématiques d'extérieur-intérieur, profondeur-surface chères au peintre. A côté de ses montagnes alanguies comme des corps immenses, Suzanne Obrecht présente une série de visages de femmes, laponnes ou autoportraits où se lit le même plaisir de s'affirmer peintre et femme, dans des formats plus petits où la vigueur de la touche ne perd rien de son intensité. Corinne Ibram - DNA novembre 1987
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